Il y a deux semaines j’ai raconté comment j’avais rencontré Lapérouse à travers son journal de bord, rédigé en 1779 lorsqu’il commandait la frégate de 12 l’Amazone, et comment, à la suite de cette « rencontre », j’avais décidé d’écrire un roman historique maritime afin d’embarquer dans la marine de Louis XVI sous les ordres du Lieutenant de Vaisseau Jean-François du Galaup de la Peyrouse.
Une autre rencontre avec un autre vrai marin a également eu beaucoup d’importance pour l’avenir de Laforest-Dombourg, le héros narrateur de mes romans. Mais ce marin-là, j’ai eu la chance de le rencontrer vraiment, en chair et en os, comme on dit, il y a une vingtaine d’années, avant qu’il ne file définitivement son câble pour la grande traversée que nous connaîtrons tous un jour ou l’autre.
Quand mes parents ont quitté Larmor-plage et Lorient pour venir s’installer à Nantes, ils ont eu pour voisin de palier le Médecin Général de Marine Adrien Carré, membre de l’Académie de Marine et grand érudit pour tout ce qui intéressait la vieille marine à voile. Après ma découverte de Lapérouse et alors que je n’étais pas encore à la retraite, Laforest-Dombourg était déjà né dans une ébauche pleine d’imperfections et parfaitement impubliable que mon père avait cependant donnée à lire à son illustre voisin, lequel avait demandé à me voir lors d’une de mes permissions à Nantes. Il avait trouvé ma peinture de la marine de Louis XVI assez juste et il avait apprécié notamment le fait qu’elle tordait le cou à la fameuse légende des « officiers rouges et des officiers bleus » (Un thème qui pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une explication particulière plus tard).
Il n’avait pas embarqué sur de fringantes frégates de 12 mais sur des bateaux en fer peints en gris, toutefois, ayant commencé sa carrière dans les années 30 à une époque où un marin passait la plus grande partie de son emploi du temps à la mer, je pense qu’il avait navigué autant que Lapérouse : la Méditerranée, l’Atlantique et les Antilles, le Cap, l’Extrême Orient, Saigon, Shanghai, le Fleuve Yang-Tse… Il occupait son temps de retraite (bien qu’on ne puisse pas parler de retraite pour les officiers généraux, ils sont dans le « cadre de réserve », comme chacun sait !) à écrire des articles pour des revues maritimes et à donner des conférences et il avait en particulier publié, avec plein de notes passionnantes rajoutées par lui, un manuscrit qu’il avait découvert dans les archives de la famille de son épouse, il s’agissait des mémoires d’un certain Chevalier de Cotignon qui avait été Garde-marine au temps de Louis XVI.
Au cours de notre entretien il m’avait fourni une foule de renseignements précieux et concrets touchant la navigation au temps de Louis XVI : les maladies, bien sûr, c’était sa partie, mais aussi le gréement des navires que leurs commandants cherchaient sans cesse à améliorer, la navigation, la vie à bord, les rapports entre officiers et matelots au XVIIIème siècle, le tout grâce à son érudition mais aussi vu à travers sa longue expérience de marin et de médecin naviguant embarqué sur toutes les mers du globe. Il venait de recevoir le troisième tome du Vaisseau de 74 canons de Jean Boudriot et il m’avait confié qu’il trouvait cet ouvrage remarquable mais qu’on sentait cependant par moments que son auteur n’avait pas vraiment navigué. J’ai acquis moi aussi plus tard une partie des magnifiques livres de Jean Boudriot et je me suis toujours demandé ce qui pouvait bien « clocher » dedans, mais il est vrai que je ne suis qu’un plaisancier.
En prenant congé il m’avait donné plusieurs brochures contenant des textes de conférences ou d’articles dont il était l’auteur et notamment un petit récit que j’aime beaucoup narrant des aventures vécues par lui sur le Yang-Tse au temps de la Longue Marche et des derniers seigneurs de la guerre chinois.
Et surtout, comme les Mémoires du Chevalier de Cotignon étaient épuisés et déjà introuvables, il m’avait prêté, afin que je puisse le photocopier, son volume personnel enrichi d’une quantité de nouvelles notes manuscrites rajoutées en vue d’une future édition qui, je crois, n’a jamais eu lieu. Le Chevalier de Cotignon est donc un document très rare qui m’a été particulièrement précieux pour comprendre comment pouvait vivre, naviguer et penser, un jeune officier de la marine française avant la Révolution.
#Lapérouse #Amazone #romanhistoriquemaritime #LouisXVI #marine #marin #adriencarré #académiedemarine #frégate #bateau