Dans la peau d’un garde-marine

Alors qu’aujourd’hui nous assistons à la montée de conflits sociétaux dont nous ne savons pas très bien comment ils se termineront, pourquoi ne pas se dépayser un instant en survolant les états d’âmes des jeunes officiers de marine à la veille de la Révolution ?

Pour rendre mon Laforest-Dombourg plus réaliste, j’ai étudié attentivement les souvenirs écrits de deux marins de cette époque : Scipion de Castries, reçu garde-marine en 1777 à 21 ans et Cotignon, garde-marine quatre ans plus tard à l’âge de 20 ans.

Bien qu’ils aient été formés tous les deux à la compagnie des gardes de Toulon, leurs profils sont différents. L’aîné, Scipion de Castries, se préoccupe de ce que nous appellerions aujourd’hui la géopolitique. Il est vrai qu’il espère faire une belle carrière, il porte un nom illustre et il est le neveu du marquis de Castries, ministre de la marine. Il a écrit ses souvenirs sur le tard, sans notes, et en se fiant uniquement à sa mémoire pas toujours très exacte. Il est néanmoins intéressant de voir qu’il dit tout le mal qu’il pense de Louis XV et de ses maîtresses, qu’il admire Louis XVI mais qu’il trouve qu’il n’aurait pas dû soutenir la révolte des sujets anglais de la Nouvelle Angleterre. Il a de l’estime pour les officiers de marine britanniques. Enfin il observe que les îles à sucres sont essentielles pour l’économie de la France et, après une escale à Saint-Domingue, il affirme que les esclaves noirs ne sont pas malheureux. Lorsque la Révolution éclatera il émigrera en 1791 pour servir au régiment d’infanterie de Castries commandé par son cousin et rentrera en France en 1803 en profitant de l’amnistie accordée aux émigrés.

Cotignon, lui, a écrit d’après des notes précises, allant jusqu’à rapporter les positions exactes de différents mouillages. Issu d’une petite noblesse de province, il rapporte essentiellement les événements de sa vie au jour le jour, ce qu’il voit, ce qu’il fait, comment il réagit, il a été beaucoup plus intéressant pour moi que Scipion de Castries. Il ne s’embarrasse pas de considérations stratégiques, lui. Envoyé aux Antilles à la fin de la guerre pour faire respecter la politique de l’Exclusif imposée par la métropole à ses colonies, il remplit sa mission de son mieux tout en déplorant d’être obligé de faire un « travail de maltôtier » indigne d’un officier du Roi. En conséquence, bien qu’il ne roule pas sur l’or, il refuse de toucher aux parts de prise qui lui reviennent lorsqu’il arraisonne un navire pris en flagrant délit de contrebande et il les distribue à ses matelots. Il aime la vie, la mer, la navigation, les voyages et l’aventure. Lorsqu’il commande un petit bâtiment dans les Antilles, son plus grand plaisir est de battre à la course les navires qu’il croise. Il est proche de ses hommes à bord, il est aussi à l’aise dans le gréement que sur le pont. À terre il multiplie les bonnes fortunes et ces succès lui font penser qu’il pourra faire un bon mari plus tard. Il se bat en duel très facilement. Il n’a rien d’un intellectuel mais il est bon musicien et joue de tous les instruments. Il adore chasser, il profite de chaque escale pour se livrer à sa passion favorite et il est amusant de voir que, lorsqu’il rapporte des vingtaines de lapins à son bord, tout l’équipage se réjouit de l’arrivée de cette viande fraîche alors qu’aujourd’hui nos marins de la « Royale » frisent la syncope dès qu’on évoque devant eux « l’animal à oreilles ». Cotignon ne conteste pas l’utilité économique des esclaves dans les colonies mais il s’indigne de voir comment on les traite. Rencontrant par hasard, à la chasse, un noir que son propriétaire a enfermé dans une cage pour le punir, il le libère aussitôt. Il a peu d’estime pour les aumôniers de la marine et il semble plutôt déiste. Il trouve que les Bretons sont plus difficiles à commander que les Provençaux parce qu’ils se saoulent dès qu’on n’y fait pas attention et se battent entre eux mais qu’ils font de bons combattants. La Révolution ne lui donnera pas envie d’émigrer a priori mais il y sera contraint, brièvement, parce qu’en débarquant à Brest en mai 1790 après une campagne en Inde, dès le premier jour, il provoque et blesse en duel un officier qui avait critiqué devant lui le comte d’Hector commandant la marine à Brest.

Cotignon et Scipion de Castries se rejoignent au moins sur un point : ils ont tous les deux sincèrement admiré le courage et le dévouement des gens de mer qui formaient leurs équipages. Et, bien sûr, ils sont restés fidèles à leur roi et à son souvenir envers et contre tous.

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Goélette

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