Mon intention n’est pas ici de parler de l’Afrique en général et de ses problèmes. J’ai bien sûr une opinion sur cette question mais il existe des spécialistes plus avertis que moi et ce n’est pas l’objet de ce blog.
Je vais juste quitter un instant le XVIIIème siècle tout en restant dans le domaine de la mer et des bateaux pour évoquer un souvenir : comment, il y a maintenant plus de quinze ans, j’ai pu me faire construire un petit voilier gréé en goélette avec un gréement aurique à l’ancienne inspiré du Traité du Gréement de 1780.
Prenons un petit port sur la côte ouest de la Guinée Conakry…
… les premières embarcations locales que je vois sont propulsées par un modeste moteur hors-bord de 50cv posé sur le tableau arrière. Elles ont un tirant d’eau très faible. Construites en bois avec une quille, des couples et un bordage, elles sont très fines, très effilées et d’une longueur démesurée, extravagante même : 13m, 15m, 16m, parfois plus, pour moins de 2m de large !

… C’est parce que les constructeurs locaux pensent qu’une coque très étroite améliore le rendement de leurs moteur hors-bord et, comme ces « pirogues » sont souvent destinées au transport de passagers, ils les font très longues pour pouvoir embarquer le plus de monde possible.

Néanmoins, en voyageant un peu dans les petits villages de pêcheurs aux alentours, je découvre des embarcations construites sur le même principe mais beaucoup plus élégantes qui font vraiment honneur au savoir-faire des charpentiers de marines locaux et je décide de m’en faire construire une en y apportant quelques améliorations pour lui permettre de marcher à la voile.
Pour la coque je propose d’abord un beau dessin avec des retours de galbord mais je m’aperçois vite que les charpentiers du coin n’ont pas du tout l’habitude de se servir d’un plan ; ils travaillent à vue, de mémoire, et avec des méthodes totalement empiriques. Je donne donc des directives simples : je dis que je veux une « pirogue » moins longue, pas plus de 12m, et plus large, soit plus de 2m. Ensuite je dessine une fausse quille à boulonner sur la vraie pour avoir un plan de dérive avec un étambot pour le gouvernail en fer que j’ai commandé à un forgeron qui me tord également un tuyau de plomberie selon un dessin que je lui fais pour la barre franche.


Je demande de doubler le nombre des couples, je fais poser des barrots de pont et un pont, que j’arrête en arrière du grand mât pour laisser la place à un cockpit. Je dessine également des renforts intérieurs pour la proue et la poupe tout ceci pour que la coque ne se déforme pas sous la pression des voiles. Ensuite je dessine des sabots à fixer sur le dessus de la quille pour poser les mâts et des étambrais pour les appuyer. Enfin, comme cette embarcation ne peut plus se poser à marée basse sans se renverser, je fais poser des renforts de chaque côté pour pouvoir béquiller.

Et ça marche ! Le courant passe, façon de parler car il n’y a pas d’électricité sur le chantier, le travail se fait à la scie et à l’herminette, comme autrefois chez nous, et pourtant la coque sera terminée en quelques mois. J’ai malheureusement perdu les photos que j’avais prises lors du chantier. J’avais accepté le prix proposé par le charpentier de marine sierra léonais qui dirigeait la construction, ses ouvriers avaient l’air heureux de travailler, j’espère qu’il les avait bien rémunérés mais je n’ai pas cherché à le vérifier. En tout cas ils avaient fait du bon boulot.

Pour le gréement j’avais décidé dès le début que ce serait un gréement aurique à l’ancienne parce que les voiles peuvent ainsi être fixées aux mâts par un simple transfilage et qu’on peut les tendre en étarquant le pic. Avant de partir j’avais fait retailler par une voilerie en France de vieilles voiles de sloop marconi qui avaient conservé leurs numéros d’origine, j’avais acheté des poulies, j’avais commandé deux fûts de pins nordiques près du Havre et j’avais fait venir le tout par bateau.

Tout le reste a été fait sur place par des menuisiers locaux à qui je donnais des croquis, des gabarits et des mesures, les cordages ont été achetés au marché, les haubans et les étais on été réalisés à partir de câbles métalliques ordinaires sur lesquels je réalisais moi-même des surliures avec du fil de fer que je fourrais ensuite avec de la ficelle.

Je n’avais pas acheté de ridoirs en France parce qu’ils auraient transmis une tension trop forte qui aurait déformé la coque en bois de ma « pirogue ». J’avais initialement prévu de rider mes haubans avec des caps de mouton que j’avais fait réaliser à partir de mes dessins mais je n’ai jamais pu trouver de cordages se prêtant à cet exercice, si bien que j’avais remplacé le tout pas de simples tendeurs de tente reliés aux étais par des petites chaînes afin de leur conserver une certaine souplesse, l’ensemble m’avait donné satisfaction.

Pour les prises de ris j’avais fait réaliser une réplique du « violon » des anciennes voiles auriques bretonnes.

Ma pirogue avait une certaine inertie mais une fois qu’elle était lancée mon GPS portable affichait régulièrement 8 nœuds dans la brise de mer des après-midi.

