Parmi les navires décrits dans mes romans qui se situent au temps de Louis XVI, le premier bâtiment cité dès le premier chapitre est un chasse-marée. Aujourd’hui ce nom de chasse-marée est bien connu pour être celui d’un bateau traditionnel breton et également celui d’une excellente revue mensuelle créée au troisième trimestre de 1981, à laquelle je m’étais abonné, et dont le numéro 1 était en vente au prix de 30 francs. Pourtant, à l’origine, le chasse-marée ne désignait pas un bateau et il était essentiellement associé à Paris !!!
En effet, en 1680 et bien avant, sans doute depuis le Moyen-âge, on appelait chasse-marée celui qui amène de la marée à Paris tous les samedis et tous les mercredis.
Au 17ème siècle marée signifie aussi poisson de mer. Les voituriers qui apportaient à Paris le poisson pêché sur les côtes de Normandie ou de Picardie prirent le nom de chasse-marée à cause des bidets (petits chevaux) qui la portent (la marée) et qu’ils chassent devant eux.
Les chasse-marées voyageaient surtout de nuit et comme ils devaient aller le plus vite possible afin de livrer du poisson frais le matin à Paris, ils avaient la priorité absolue sur tous les autres usagers des routes qu’ils parcouraient. L’établissement des chasse-marées est très ancien et le commerce qu’ils font un des plus considérables et à qui le roi et les magistrats ont accordé le plus de protection.
La marée était transportée dans de grands paniers d’osier attachés en long de chaque côté sur le bât des bidets, ils étaient fermés, d’une taille identique pour tous et strictement réglementée par les ordonnances, marqués d’une fleur de lys et portant une étiquette sur laquelle était indiquée l’espèce de poisson qu’ils transportent. Ces paniers étaient achetés tels quels par les harengères parisiennes qui revendaient ensuite leur contenu au détail. Par la suite cette activité a été étendue à d’autres villes que Paris.
Au tout début du 18ème siècle, la Bretagne sud a commencé à se spécialiser dans la pêche saisonnière à la sardine qui était pressée et expédiée vers la Provence par des commerçants bordelais. Les règlements royaux interdisaient de pêcher la nuit et de vendre la pêche en mer, mais les chasse-marées obtinrent le privilège d’aller acheter directement en mer la première pêche de la journée sur des barques rapides qu’on baptisa tout naturellement chasse-marées. En raison de sa réputation de bonne marche, ce type de bâtiment devait ensuite être largement utilisé pour le cabotage.
J’ai le rare bonheur de posséder un ouvrage d’époque dans lequel on peut lire une description du chasse-marée à l’article consacré aux lougres.

Les lougres sont des bâtiments de guerre construits pour la marche (…) Ils portent deux mâts ayant chacun un mât de hune (…) chacun de ces mâts porte une voile appelée voile à Bourcet, voile au tiers, ou voile de lougre et leurs huniers sont de la même forme…
Les chasse-marées portent cette même voilure. Comme la grande voile de ces petits bâtiments est presque toujours d’une énorme étendue à proportion de leur grandeur, on substitue à cette voile ordinaire, dans les forts vents, une autre plus petite nommée taille-vent dont la bordure est encore raccourcie et qui du côté du vent s’amure au pied du mât.
Cette plus petite voile met ces bâtiments à l’abri des dangers qu’ils pourroient courir dans les gros temps…